Peut-on construire (et vivre) sur des terrains amiantifères ?
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Tags: Collectivités Donneurs d'ordre Particuliers Santé Prévention
Est-il possible de construire en zone amiantifère ?
C’est une des questions que les particuliers nous posent le plus fréquemment ! Mais aussi les maires !
Comment les autorités locales peuvent-elles prendre en compte le risque amiante environnemental dans leur politique d’urbanisation et de développement ?
En résumé :
Vous souhaitez construire en zone potentiellement amiantifère ? Le permis de construire peut-il être refusé pour cela ?
Il n’existe pas aujourd’hui de réglementation interdisant spécifiquement de construire en zone amiantifère.
Toutefois des dispositions diverses (code du travail, code de l’environnement…) imposent des contraintes sur les chantiers en terrains amiantifères, notamment en termes d’exposition des intervenants et des riverains à des fibres libérées par les travaux, de gestion des terres excavées et d’état final des affleurements. Cela aura donc un impact sur le budget des travaux et les délais, à prendre en compte au plus tôt dans la conception du projet.
Un repérage géologique avant travaux de la zone où la construction est prévue est donc nécessaire, il peut d'ailleurs être demandé par la mairie en appui à la demande de permis de construire. Il permettra de confirmer (ou d'infirmer) le risque, le préciser dans l'espace et d’adapter le projet de construction. Il sera également indispensable pour que les entreprises intervenantes prennent les mesures de protection nécessaires.
De plus, la mairie doit a minima informer les pétitionnaires du risque connu sur la zone et peut imposer des mesures complémentaires voire interdire certaines activités dans certaines zones.
En effet, les autorités locales ont compétence pour intervenir sur le sujet. Elles sont encouragées par l'Etat, dans l’attente d’un corpus réglementaire national cohérent, à prendre en compte ce risque dans leurs documents d’urbanisme, cela dans l'intérêt sanitaire des populations.
Elles seront vraisemblablement amenées également à l’avenir à inventorier les sites déjà construits et menaçant les populations pour remédier aux émissions potentielles de fibres d'amiante naturel par ces sites.
Comment une collectivité locale peut-elle concilier protection des populations et développement ?
L’exemple Corse
Le PADDUC
Le Dossier Départemental sur les Risques Majeurs de Haute-Corse
Le rôle des collectivités locales et des maires
L’exemple néo-calédonien
L’exemple Corse
Le PADDUC
Dans le cadre de son plan d’aménagement et de développement durable adopté en 2015 (puis 2020) par l’Assemblée de Corse (le PADDUC), l’île acte la prise en compte du risque amiante environnemental au regard de l’aménagement du territoire et notamment de l’urbanisme.
En se basant notamment sur les études réalisées par le BRGM, qui ont donné lieu à un “Porter à connaissance de l’État […] aux porteurs de projets d’aménagement et de construction en Haute-Corse”, le PADDUC dévoile une carte relativement précise de zones à fort risque.
Ainsi le rapport environnemental évoque le chiffre de 139 communes “possèdant sur leur territoire au moins une zone d’affleurement de serpentinites”. Les serpentinites étant la formation géologique présentant le plus grand facteur de risque et étant quasiment systématiquement porteuse de chrysotile et parfois de trémolite-amiante (deux des variétés d’amiante réglementaire) en Haute-Corse.
Il préconise sur ces zones et celles concernées par des mesures de fibres dans l’air : “Des repérages poussés devront être mis en œuvre avant les travaux. À l’occasion de toute nouvelle mise à nu d’une zone amiantifère, il devra être procédé à son recouvrement durable. Les projets de constructions, aménagements, installations et travaux peuvent être refusés, en application du code de l’urbanisme, s’ils sont de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique, que le territoire soit couvert ou non par un document d’urbanisme, ou d’être exposés à des nuisances graves pour les territoires non dotés d’un document d’urbanisme. “
Le guide INRS ED 6142 sur les travaux en terrains amiantifères développe d’ailleurs dans son annexe 2 dédiée au PADDUC, la méthodologie de repérage préconisée en fonction du niveau d’aléa identifié par le BRGM. A noter toutefois que ces préconisations sont antérieures à la norme NF P94-001 et ne sont donc pas en adéquation avec la logique de cette dernière.
On pourra regretter dans cette approche le manque de prise en compte des zones d’aléas plus faibles mais qui, nous le constatons régulièrement, ne sont pas totalement indemnes de terrains amiantifères. Heureusement, les dispositions attendues dans le cadre de l’application des Repérages Avant Travaux sur les terrains amiantifères permettront de fiabiliser la démarche en systématisant les repérages A0 par des géologues compétents sur un ensemble de départements à risques (voir Y a-t-il de l’Amiante Naturel dans ma région ?).
Enfin, il apparaît que les retards dans le déploiement des réglementations au niveau national laissent les instances locales relativement démunies face à la mise en place de dispositions qui peuvent s’avérer lourdes, et pas toujours populaires bien qu’elles visent avant tout à garantir la sécurité des personnes.
Le PADDUC est appuyé dans sa lutte contre l’exposition à l’amiante environnemental par le Plan d’Actions Régional Santé Environnement 2018-2021 (PRSE 3), déclinaison par l’ARS Corse d’un plan d’action national et qui prend en compte le risque amiante environnemental, notamment par l’action 12 pilotée par la DREAL qui vise explicitement les documents d’urbanisme et de planification.
Il existe donc à ce jour une volonté affichée, sur le plan national et local, d’adapter les règles d’urbanisme à ce risque sanitaire.
Cette volonté se traduit par des préconisations et un soutien clair aux autorités locales qui sont chargées de définir et de faire respecter les plans d’urbanisme et de garantir la santé des populations.
Le Dossier Départemental sur les Risques Majeurs de Haute-Corse
Ce document de 2015 émis par la préfecture de Haute-Corse sert également de lignes directrices à l’intention des collectivités locales pour la prise en compte de plusieurs risques environnementaux ou industriels majeurs, dont l’amiante environnemental.
Il rappelle : “ les Plans Locaux d’Urbanisme (PLU) permettent de refuser ou d’accepter sous certaines conditions un permis de construire dans les zones soumises au risque amiante environnemental (article R.111-2 du code de l’urbanisme). A minima, le risque amiante environnemental doit être porté à la connaissance des pétitionnaires par le biais d’une information lors de la délivrance du permis de construire, pour les demandes dans des zones identifiées comme à risque.”
Ce DDRM fixe également (par arrêté de la préfecture de Haute-Corse) une liste de 143 communes particulièrement impactées par ce risque amiante environnemental ainsi que préconisations afin de limiter l’exposition des populations (restrictions d’usages ou d’activités dans les zones à risques…)
Ainsi des communes on fait réaliser des études plus fines pour mettre en place une politique appropriée :
“La commune de Murato a réalisé une cartographie à l’échelle 1/7.500.
Ce « zonage » permet d’induire :
• une obligation pour les propriétaires de terrain sur des zones à aléa d’émission « forte » de mener des investigations complémentaires et de mettre en oeuvre des mesures de suppression ou de réduction du risque lié à l’inhalation de fibres ;
• une interdiction de certains aménagements ou usages, ou l’application de conditions strictes pour limiter certains travaux sur terrains amiantifères.”
Enfin, la notion de remédiation des zones d’affleurements pré-existantes et émettrices de fibres (naturelles ou artificiellement créées) à proximité des populations locales n’est malheureusement pas évoquée dans le PADDUC mais est présente dans le DDRM-2B de 2015. On notera qu’une liste de 49 communes présentant des zones urbanisées à proximité immédiates d’affleurements d’amiante environnemental a été publiée en 2011 par la préfecture de Haute-Corse, comprenant notamment Bastia et une grande partie de son agglomération ainsi que Corte et une partie du Cap Corse. Ces communes sont donc fortement concernées par la problématique de mise en sécurité d’un passif amiantifère à proximité directe des lieux de vie et de rassemblement de leurs administrés.
Le rôle des collectivités locales et des maires
Les collectivités locales, et en particulier les maires, sont dépositaires du pouvoir de police administrative dans le but d’assurer aux citoyens : sécurité, tranquillité et salubrité.
Dans ce cadre, ils disposent de la légitimité et de l’autorité nécessaires à la prise de mesures administratives visant à encadrer les activités sur les terrains amiantifères. C’est d’ailleurs ce que rappelle le PADDUC ou le DDRM 2B aux communes corses concernées.
Étant informés de l’existence d’un aléa dans leur commune, il semble nécessaire que les autorités locales prennent leurs responsabilités et protègent les populations dans le cadre des travaux à venir soit par des études géologiques au niveau communale reprises dans les documents d’urbanisme soit par le biais d’arrêtés municipaux prévoyant de mener des repérages avant travaux systématiques et joints aux demandes de permis de construire.
Cet aléa a été communiqué via le PADDUC ou le DDRM notamment dans le cas Corse mais nombre d’autres territoires ont été étudiés par le BRGM et sont dans des situations de risques tout à fait comparable, dans les Alpes, les Pyrénées, en Bretagne ou dans le Massif Central (voir Y a-t-il de l’Amiante Naturel dans ma région ?).
Il paraît également nécessaire de mener un inventaire des affleurements actifs afin d’y remédier et de protéger les riverains.
Bien qu’il s’agisse d’un travail de longue haleine afin d’identifier les sites dont l’état nécessiterait une correction pour éviter d’exposer des populations locales (talus amiantifères à l’air libre à proximité de lieux de vie ou rassemblements comme des écoles ou des équipements sportifs).
Les remédiations peuvent être relativement simples (classiquement un recouvrement et de la revégétalisation) mais demandent que les sites soient inventoriés et expertisés puis que des financements soient disponibles pour réaliser les travaux dans des conditions de sécurité (vis à vis des fibres d’amiante) satisfaisantes.
Enfin, il faut former des entreprises à la réalisation de chantiers en contexte amiantifères. De telles initiatives ont par exemple été menées en Nouvelle-Calédonie avec un certain succès.
L’Etat, par l’intermédiaire des préfectures, du BRGM ou du ministère du Travail, ayant procédé à l’identification à grande échelle des zones à risques et mettant progressivement en place un ensemble de mesures encadrant les travaux sur terrains amiantifères, il apparaît donc que le rôle des collectivités locales, en particulier les maires, dans la protection de leurs administrés est primordial et qu'ils peuvent (et doivent) prendre des mesures localement.
Ces mesures, guidées par une compréhension fine du contexte géologique, peuvent permettre de protéger les populations sans stopper le développement d'une commune.
L’exemple néo-calédonien
La problématique est prise en compte dès 2005 lorsque les autorités sanitaires se rendent compte que le taux d’incidence des maladies liées à l’amiante (mésothéliome) est supérieur à une valeur moyenne en métropole, alors que la NC n’a pas connu d’exploitation d’amiante.
Grâce aux études épidémiologiques, le constat d’une exposition environnementale est très vite attesté (population jeune, féminine et masculine, et n’ayant jamais travaillé en usine, entre autres).
Deux sources sont alors identifiées : les cases traditionnelles recouvertes d’un enduit blanc, appelé Pö, qui contient parfois de la trémolite-amiante. Mais également la proximité de populations avec des zones géologiquement amiantifères, qui ont fait l’objet de travaux “lourds” comme l’ouverture de routes de montagne ou l’utilisation de serpentinites pour recouvrir les pistes, matériau longtemps employé en Nouvelle-Calédonie.
Parmi les discussions du groupe de travail amiante qui a été monté(avec notamment le Service Géologique de Nouvelle Calédonie (SGNC), la Direction des Affaires Sanitaires et Sociales, le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie etc.), deux dossiers forts vont impliquer la géologie.
Le premier est d’acquérir une connaissance géologique de l’amiante en Nouvelle-Calédonie.
Pour cela, le SGNC collaborera avec le BRGM pendant de nombreuses années avec l’édition de nombreux rapports d’expertise, atlas, cartographie et compréhension du lien entre la géologie de la NC et la présence de minéraux amiantifères.
Le second est un programme de cartographie communale des sites aménagés potentiellement amiantifères. D’une approche légèrement différente du programme de cartographie de détail mené par le BRGM en corse notamment (ZIP), il s’agit de définir pour chaque commune les zones aménagées (route, talus, plateforme d’habitation ou autre) qui se situent dans une zone géologiquement à risque, puis pour chaque affleurement, réaliser un diagnostic géologique visuel et analytique. Cela amène, pour chaque commune, a avoir 2 documents cartographiques. Le premier est une carte de l’aléa amiante sur l’ensemble de la commune. Le second est une carte des données ponctuelles des sites aménagés potentiellement amiantifères. Il s’agit donc d’une cartographie d’un “passif” à gérer.
La première a trouvé son utilité dans les nouveaux projets, aménagements, routes. La seconde, permet de gérer la prévention et la mitigation au mieux.
Les cartes amiantes sont intégrées aux Plans d’Urbanisme et de Développement des communes de NC dans le cadre de la gestion des risques, au même titre que les mouvements de terrain ou l’inondation.
Pour traiter l’ensemble des 29 communes impactées, un programme de 10 ans a été lancé. Chaque site visité a fait l’objet d’une fiche descriptive, d’un référencement cartographique, d’une évaluation de l’aléa et du risque (basé sur libérabilité des fibres, proximité de lieux fréquentés, etc.) ainsi que d’un scénario chiffré de mitigation (A titre indicatif, basé sur une étude de cas du BRGM de 2009).
L’exemple Corse
Le PADDUC
Le Dossier Départemental sur les Risques Majeurs de Haute-Corse
Le rôle des collectivités locales et des maires
L’exemple néo-calédonien